La Salope, par Bernard Langlois (extrait)
5 juillet 2007, Politis
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Liberté d’expression
Plus important, me semble-t-il, que le vocabulaire gaillard de notre personnel politique, la crise de la presse et les menaces sur la liberté d’expression.
Dans une « note sur la situation de L’Humanité » diffusée le 29 juin auprès des responsables fédéraux du PCF, Patrick Le Hyaric, le directeur du quotidien, ne cache rien des difficultés endémiques du titre, qui aurait besoin de vendre « au moins 12 000 exemplaires/jour » supplémentaires pour équilibrer. Il confirme que la vente du siège, à Saint-Denis, est très sérieusement envisagée pour recapitaliser l’entreprise (nécessité au regard de la loi) et échapper au dépôt de bilan.
Les rédactions respectives des deux quotidiens économiques nationaux Les Échos et La Tribune se sont mises en grève pour protester : la première, contre le projet de rachat du titre par le milliardaire Bernard Arnault, patron de LVMH et de... La Tribune, son principal concurrent ; la seconde, contre l’éventualité d’une vente précipitée du titre par son propriétaire actuel, Bernard Arnault. Lus dans les milieux politiques, économiques, syndicaux, les deux journaux ont reçu de nombreux soutiens de tous bords ; pas sûr que ça suffise à entraver la marche des affaires !
Le Monde cherchait encore, ce lundi, une sortie de crise, suite à la démission forcée de Jean-Marie Colombani, soutenu par les actionnaires extérieurs mais banni par les personnels du groupe ; la solution semblait avoir été trouvée par la désignation d’une nouvelle direction bicéphale qui faisait consensus. Patatras : c’est le blocage au conseil de surveillance, où Alain Minc a raté d’une voix sa reconduction au poste de président mais... a été reconduit quand même (là encore, les actionnaires extérieurs, Perdriel en tête, tentent d’imposer leur volonté contre les personnels, quitte à violer les statuts !). De la troïka qui fit longtemps la pluie et le beau temps au Monde, l’affairiste Minc [1] reste seul en piste triste sire qui s’accroche contre la volonté de toute une rédaction, pour combien de temps encore ?
Schneidermann viré de France 5 pour « faute lourde » ( !) et son émission « Arrêt sur Images » (seule émission de décryptage des médias) supprimée, malgré des dizaines de milliers de signatures de soutien ; et suppression aussi, à France Inter, de l’excellente « Bande à Bonnaud », pareillement soutenue par les auditeurs et sans doute pour le même résultat (« trop élitiste », paraît-il, selon la direction), voilà qui sent la reprise en mains par des camarillas médiatiques toutes dévouées au nouveau pouvoir politique, pas sûr qu’il ait même besoin de demander [2] ! Ayant été payé, jadis, pour savoir que la liberté d’expression sur les ondes rencontrait vite ses limites, je ne jouerai pas les étonnés. Au fait, ça va toujours, Mermet ?
Si vous ajoutez à cela quelques autres affaires récentes, comme des coups de ciseaux intempestifs dans divers articles de divers titres aux mains de Bolloré ou de Lagardère (des bons potes au Prince-Président), vous comprendrez que se manifeste une certaine inquiétude dans les rangs d’une profession dont on peut penser (je le pense) qu’elle paye un peu trop sa complaisance et ses lâchetés envers les puissants pour qu’on puisse vraiment la plaindre ; comme on peut penser (je le pense) que ce n’est pas la respectueuse demande d’audience à Nicolas Sarkozy par le Forum des sociétés de journalistes qui risque d’améliorer la situation. Et si c’était vraiment ailleurs, sur la Toile, que se jouait désormais (dans l’embrouillamini, l’outrance, les approximations et expérimentations en tout genre) l’avenir d’une information libre ? Nombre de mes jeunes confrères le pensent, qui tentent le coup avec assez de panache, je vous en signale régulièrement.
Tiens, cette semaine, un ancien de chez nous, courageux et talentueux, qui a fait son chemin depuis ses débuts à Politis : Paul Moreira.
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(1) Lire l’enquête de Laurent Mauduit, Petits Conseils (Stock).(2) Quelques différences entre les deux affaires : autant Bonnaud et sa bande ont reçu le plein soutien des personnels de France Inter (qui ont même fait une grève de protestation), autant les syndicats de France 5 ont pris leurs distances d’avec un Schneidermann jugé trop perso et un rien imbu de sa personne. Pas une raison du reste pour ne pas appeler un chat un chat et censure une censure. Ni pour oublier que, comme le dit Henri Maler, d’Acrimed : « Une censure inacceptable peut en cacher bien d’autres. Au moment où "Arrêt sur images" disparaît, des télévisions associatives qui se battent depuis des années pour obtenir le droit d’exister nationalement et régionalement sont privées d’accès à la TNT (à l’exception de l’une d’entre elles Télé Bocal qui partagera la fréquence avec trois associations quasiment inconnues). Qui s’en soucie, si l’on excepte les médias du tiers secteur ?
Crise de la presse, menaces sur la liberté d'expression
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9.8.07